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d’une ficelle, les bras d’une corde derrière le dos, l’attacha sur la bascule et l’y boucla avec la ceinture de cuir. Il voulut s’en tenir là.

— Non, non, il y a encore quelque chose, dit-elle.

Sanson alors coucha la bascule, plaça la tête de la jeune fille dans l’horrible lunette et referma sur elle le capuchon de cette lunette. Alors elle se déclara satisfaite.

Plus tard, en contant la chose, Sanson disait : — J’ai vu le moment où elle allait me dire : Il y a encore quelque chose. Laissez tomber le couteau.

Presque tous les visiteurs anglais demandent à voir le couteau qui a coupé la tête de Louis XVI. Ce couteau a été vendu comme vieille ferraille, de même que tous les autres couteaux de la guillotine quand ils sont hors de service. Les anglais ne peuvent le croire, et offrent à Sanson de le lui acheter. S’il eût voulu faire ce commerce, on aurait vendu autant de couteaux de Louis XVI que de cannes de Voltaire.

Des anecdotes sur Sanson, mon homme, qui se disait ancien palefrenier des Tuileries, voulut passer aux anecdotes sur le roi. Il avait entendu les causeries du roi avec les ambassadeurs, etc. — Je l’en tins quitte. Je me rappelai sa qualité de gascon et son état de brodeur, et ses révélations politiques me parurent être de la haute passementerie.

Jusqu’en 1826, la Conciergerie n’avait eu d’autre entrée et d’autre issue qu’un guichet sur la cour du palais de Justice. C’est par là que sortaient les condamnés à mort. En 1826 fut pratiquée la porte qu’on voit sur le quai entre les deux grosses tours rondes. Ces deux tours avaient au rez-de-chaussée, comme la tour de la question, une chambre sans fenêtre. Les deux grotesques ogives, sans voussures et sans triangle équilatéral pour base, qu’on y admire encore en ce moment et qui sont des chefs-d’œuvre d’ignorance, ont été ouvertes dans ces magnifiques murailles par une sorte de maçon nommé Peyre, qui avait la fonction d’architecte du palais de Justice et qui l’a mutilé, déshonoré et défiguré comme on le peut voir.

Ces deux chambres, désormais éclairées, ont donné deux belles salles circulaires. Les murs en sont ornés d’arcades ogives engagées, d’une pureté admirable, qui s’appuient sur des consoles exquises. Ces charmantes merveilles d’architecture et de sculpture étaient destinées à ne jamais voir le jour et étaient faites, chose étrange, pour l’horreur et les ténèbres.

La première des deux chambres, la plus voisine du préau des hommes, avait été assignée pour dortoir aux gardiens. Il y avait là une douzaine de lits faisant comme les rayons d’une étoile autour d’un poêle placé au centre. Au-dessus de chaque lit, une planche scellée dans le mur à travers les meneaux délicats de l’architecture supportait les « effets » des gardiens, représentés en général par une brosse, une valise et une vieille paire de bottes. Au-dessus