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Ce mot, qu’il faut prononcer faignant, signifie paletot dans le nouvel argot. Il avait en effet un paletot assez propre. J’obtins qu’on le lui laissât et je le fis causer.

Il faisait beaucoup d’éloges de Monsieur Sanson, le bourreau, son ancien maître.

M. Sanson habitait rue des Marais-du-Temple, dans une maison isolée dont les persiennes sont toujours fermées. Il recevait beaucoup de visites. Force anglais l’allaient voir. Quand des visiteurs se présentaient chez M. Sanson on les introduisait dans un joli salon au rez-de-chaussée, tout meublé en acajou, au milieu duquel il y avait un excellent piano, habituellement ouvert et chargé de musique. Peu après, M. Sanson arrivait, et faisait asseoir ses visiteurs. On devisait de choses et d’autres. En général les anglais demandaient à voir la guillotine. M. Sanson satisfaisait ce désir, sans doute moyennant quelque paraguante, et menait les ladies et les gentlemen dans la rue voisine (la rue Albouy, je crois), chez le charpentier des hautes-œuvres. Il y avait là un hangar clos où la guillotine était toujours dressée. Les étrangers se rangeaient autour, et on la faisait travailler. On guillotinait des bottes de foin.

Un jour, une famille anglaise composée du père, de la mère et de trois belles filles toutes roses et toutes blondes, se présenta chez Sanson. C’était pour voir la guillotine. Sanson les mena chez le charpentier. On fit jouer l’instrument. Le couteau s’abaissa et se releva plusieurs fois à la demande des jeunes filles. L’une d’elles cependant, la plus jeune, la plus jolie, n’était pas satisfaite. Elle se fit expliquer par le bourreau, dans les moindres détails, ce qu’on appelle la toilette des condamnés. Elle n’était pas contente encore. Enfin elle se tourna timidement vers le bourreau :

— Monsieur Sanson ? dit-elle.

— Mademoiselle ? dit le bourreau.

— Comment fait-on quand l’homme est sur l’échafaud ? Comment l’attache-t-on ?

Le bourreau lui expliqua cette chose affreuse, et lui dit : Nous appelons cela enfourner.

— Eh bien, Monsieur Sanson, dit la jeune fille, je désire que vous m’enfourniez.

Le bourreau tressaillit. Il se récria. La jeune fille persista.

— C’est une idée que j’ai, dit-elle, de pouvoir dire que j’ai été attachée là-dessus.

Sanson s’adressa au père, à la mère. Ils lui répondirent : Puisque c’est son envie, faites.

Il fallut céder. Le bourreau fit asseoir la jeune miss, lui lia les jambes