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Nouvelle lettre. Le garde des sceaux informait le bâtonnier que « le roi, voulant donner au condamné Pierre Lecomte un nouveau gage de sa bonté, avait décidé que la pension dudit Lecomte serait réversible sur la tête de sa sœur, la vie de cette sœur durant, et que dès à présent sa majesté mettait à la disposition de cette sœur une somme de trois mille francs comme secours.

« J’ai pensé, monsieur le bâtonnier, disait le garde des sceaux en terminant, qu’il vous serait agréable de transmettre vous-même à cette malheureuse femme cette marque de la bienveillance royale. »

Me Duvergier crut avoir mal lu la première lettre. — Nouveau gage ! dit-il à un de ses amis présent. Je me suis donc trompé. Le roi fait donc grâce ! — Mais il relut la lettre, et vit qu’il n’avait que trop bien lu. Nouveau gage demeura inexplicable pour lui. Il refusa la commission dont le garde des sceaux le chargeait.

Quant à la sœur de Lecomte, elle refusa les trois mille francs et la pension. — Elle les refusa avec quelque amertume et aussi avec quelque dignité.

— Dites au roi, dit-elle, que je le remercie. Je l’eusse mieux remercié d’autre chose. Dites-lui que je n’oublie pas mon frère assez vite pour prendre sa dépouille. Ce n’est pas là le bienfait que j’attendais du roi. Je n’ai besoin de rien, je suis bien malheureuse et bien misérable, je meurs de faim à peu près, mais il me convient de mourir ainsi, puisque mon frère meurt comme cela. Qui fait mourir le frère n’a pas le droit de nourrir la sœur.

M. Mérilhou joua dans toute cette affaire un rôle lugubrement actif. Il était l’un des pairs-commissaires. Pendant l’instruction, il voulait retirer du dossier la lettre du docteur Gallois qui parlait de Lecomte comme d’un fou. Il fut un moment question de supprimer cette lettre.

Lecomte fut assez courageux au dernier moment. Cependant, la nuit qui précéda l’exécution, il demanda, vers deux heures du matin, le procureur général, M. Hébert ; et M. Hébert, en le quittant après un quart d’heure d’entretien, dit : Il est battu de l’oiseau ; il n’y a plus personne.