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chambre. Dans ma petite chambre démeublée et misérable. J’y suis resté seul. Trois heures. J’ai songé, j’ai rêvé. J’étais bien malheureux. Mon projet me revenait toujours. Et puis la pluie a recommencé, le temps était sombre, il faisait grand vent, un ciel presque noir. Je me suis senti comme fou. Tout à coup, je me suis levé. C’était fini, je venais de prendre mon parti. — Voilà comment la chose m’est venue.

Dans un autre moment, à une observation de M. le chancelier que le crime était sans motif, il a dit :

— Comment ! j’ai écrit au roi. Une fois, deux fois, trois fois. Le roi ne m’a pas répondu. Oh ! alors…

Il n’a pas achevé sa pensée ; mais son poing s’est crispé sur la barre. En ce moment il était effrayant. C’est vraiment un homme fauve. Il se rassied. Le voilà au repos. Calme et farouche.

Pendant que le procureur général parlait, il s’agitait comme un loup, et paraissait furieux. Quand son défenseur (Duvergier) a parlé, il lui est venu des larmes aux yeux. Elles coulaient sur ses joues, grosses et visibles.


Dicté par moi, ce 6 juin 1846.

Voici comment cela se passe. À l’appel de son nom fait à haute voix par le greffier, chaque pair se lève et prononce la sentence, également à haute voix.

Les trente-deux pairs qui ont voté avant moi ont tous prononcé la peine des parricides ; quelques-uns, par adoucissement, la peine capitale.

Quand mon tour est venu, je me suis levé. J’ai dit :

— En présence de l’énormité du crime et de la futilité du motif, il m’est impossible de croire que le coupable ait agi dans la pleine possession de sa liberté morale, de sa volonté. Je ne pense pas que ce soit là une créature humaine ayant une perception nette de ses idées ni une conscience claire de ses actions. Je ne puis prononcer contre cet homme d’autre peine que la détention perpétuelle.

J’ai dit ces paroles à très haute voix. Dès les premiers mots tous les pairs se sont retournés et m’ont écouté dans un silence qui semblait m’inviter à poursuivre. Je me suis cependant arrêté là et je me suis rassis. L’appel nominal a continué.

Le marquis de Boissy s’est levé à son tour et a dit :

— Nous venons d’entendre des paroles graves. M. le vicomte Victor Hugo a émis une opinion qui me frappe profondément et à laquelle je me rallie. Je pense, comme lui, que le coupable n’a pas la plénitude de sa raison. Je prononce la détention perpétuelle.