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ne sais plus ce qu’elle est à la vice-reine d’Italie, Mme Eugène de Beauharnais.

Elle a épousé un petit gentilhomme du Béarn, M. de Montléar, qu’on a fait prince, et elle s’appelle la princesse de Montléar. Du reste, elle ne va pas à la cour de Sardaigne, car elle n’y aurait pas de rang, ou du moins elle seule aurait un rang, son mari non, encore moins ses enfants. Elle reste à Paris.

C’est une femme étrange comme la position qu’elle a. Elle réalise d’une façon frappante l’idée qu’on se fait de ces anciennes électrices qui figurent dans les Mémoires. J’imagine que Mme la margrave de Bareith devait être quelque chose d’approchant. La princesse de Montléar est une grande femme fort laide, avec de beaux yeux d’homme, une coiffure frisée qui lui cache le front, parlant beaucoup, vite et haut, fière, bizarre, rude, familière, pas méchante, spirituelle, négligée, mal faite en tout, des bonnets ridicules, des jupes qui lui viennent à mi-jambe, et avec tout cela le plus grand air du monde.

Le roi son fils lui a fait don de son portrait, petite miniature entourée de perles dont la singularité est d’être couverte d’une glace faite d’un gros diamant aminci jusqu’à l’épaisseur du verre. Cette glace de diamant fait un étrange effet. La princesse de Montléar porte la chose en bracelet. Elle en fait grandement montre et en tire vanité. Du reste, elle paraît tenir beaucoup plus à la glace qu’au portrait.

Juillet 1844.




IV


Salvandy dînait dernièrement chez Villemain. Le dîner fini, on passe dans le salon, on cause. Huit heures du soir sonnent, les trois petites filles de M. Villemain entrent pour embrasser leur père et lui dire bonsoir. La dernière s’appelle Lucette ; sa naissance a coûté la raison à sa mère ; c’est une douce et charmante enfant de cinq ans.

— Eh bien, Lucette, dit le père à celle-là, chère enfant, est-ce que vous ne direz pas une fable de La Fontaine avant de vous aller coucher ?

— Voilà, dit M. de Salvandy, une petite personne qui dit aujourd’hui des fables et qui fera faire un jour des romans.

Lucette ne comprit pas. Elle se contenta de regarder avec ses grands yeux étonnés Salvandy qui se pavanait.

— Eh bien, reprend M. de Salvandy, Lucette, nous direz-vous une fable ?