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et vous n’avez plus l’échafaud ! Qu’allez-vous faire ? Pardieu, combattre ! Détruire l’ignorance, détruire la misère ! C’est ce que je veux.

Oui, je veux vous précipiter dans le progrès ! je veux brûler vos vaisseaux pour que vous ne puissiez revenir lâchement en arrière ! Législateurs, économistes, publicistes, criminalistes, je veux vous pousser par les épaules dans les nouveautés fécondes et humaines comme on jette brusquement à l’eau l’enfant auquel on veut apprendre à nager. Vous voilà en pleine humanité, j’en suis fâché, nagez, tirez-vous de là !


Tenez, tous tant que nous sommes, renonçons à la terreur. Depuis six mille ans les sociétés humaines vivent sur la haine, c’est assez ! essayons de l’amour !

Que désormais l’homme du peuple, l’homme pauvre et ignorant, l’homme mal conseillé par son intelligence et par sa destinée, s’il rencontre dans les ténèbres une idée coupable, et s’il ne la rejette pas, et s’il sort de ces ténèbres avec cette idée coupable, voie se dresser devant lui, non la guillotine, mais la fraternité !

Et s’il persiste, et s’il accomplit l’idée criminelle, oh ! alors, qu’il tremble ! la fraternité peut être terrible. Que l’homme de meurtre sache qu’il a tué son frère, qu’il vive réprouvé au milieu de nous, et qu’il s’appelle Caïn !

Et en faisant cela, savez-vous ce que vous ferez ? Vous appliquerez la législation de celui qui a jugé le premier et qui jugera le dernier, la législation de Dieu !


Et si vous aviez su comprendre, législateurs, j’aurais ajouté ceci :

Il y a un demi-siècle, un triste et grand esprit, qui se croyait le prophète de l’avenir et qui n’était que le docteur désespéré et sombre du passé, Joseph de Maistre, jetait dans les consciences ces paroles presque terribles : — L’ordre antique des sociétés humaines repose sur trois hommes qui en sont les pierres angulaires et qui contiennent chacun une partie de l’idée sociale : le roi, le prêtre, le bourreau. —

Eh bien ! cet ordre antique, vous le refaites en ce moment, vous le refaites de toutes pièces, vous le refaites dans l’excellence de vos intentions et dans la plénitude de votre légitime souveraineté. Il n’est rien de plus élevé ni de plus juste que votre souveraineté, car elle participe à la fois du peuple qui vous investit et de la providence qui vous conseille. — Nous vous aidons dans cette grande œuvre, nous à la fois les hommes d’hier et les hommes de demain, nous venons en aide à vous les hommes d’aujourd’hui ; nous qui ne sommes pas convaincus peut-être autant que vous que la monarchie ait fini, nous venons à vous, et nous vous assistons, je dis plus, nous vous secourons dans cette tache effrayante de faire une grande constitution à un grand peuple. Nous vous assistons loyalement, sincèrement, honnêtement, de notre mieux, de bon cœur. Nous ne nous refusons pas, imitez-nous. Nous vous avons concédé le roi, concédez-nous le bourreau, et puis maintenant, entendons-nous comme des frères que nous sommes, pour conserver le prêtre, cette véritable pierre angulaire de l’édifice ; en d’autres termes, brisons le sceptre, brisons le glaive, et gardons l’évangile !