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la restauration, il sera écouté, et, s’il éprouve des entraves, justice lui sera rendue.

Me ODILON-BARROT réplique sur-le-champ, et rappelle différentes circonstances des actes administratifs ont été reconnus illégaux par les tribunaux. Tel fut le principe de l’arrêt de la Cour de cassation au sujet de l’ordonnance de police qui enjoignait de tapisser les maisons lors des processions de la Fête-Dieu.

Ainsi les tribunaux ont toujours le droit d’apprécier les actes dont on fait dériver une poursuite ou une exception, de décider si cet acte puise sa force dans la loi, et si l’on peut fonder un jugement sur un pareil acte.

On a eu le courage, continue Me Odilon-Barrot, je dirai presque l’audace, de voir dans le jugement que vous avez rendu dans l’affaire de l’imprimeur Chantpie et l’éditeur du Journal du Commerce, une espèce de sédition. Sans doute comme citoyens, comme individus, vous avez le droit de résister à des actes d’oppression ; mais quand nous sommes revêtus de la toge, quand nous exerçons une fonction publique, quand nous sommes institués pour faire respecter les lois, nous ne les violons pas, et c’est faire injure à un tribunal que de supposer que dans une circonstance quelconque, à la face du peuple, on a violé les lois. Non, Messieurs, le tribunal de commerce n’a point violé les lois dans l’affaire Chantpie, et sa gloire est d’autant plus belle, qu’il a résisté à l’arbitraire dans la limite de ses devoirs. Il a maintenu le respect des lois en les respectant lui-même.

Enfin, le défenseur qualifie d’ordre posthume la défense notifiée au Théâtre-Français, le 10 décembre, par M. le ministre des travaux publics. Il n’en est pas moins vrai qu’en refusant, le 24 novembre précédent, de jouer la pièce, le Théâtre-Français avait enfreint les conventions passées entre lui et l’auteur, et qu’aucun cas de force majeure ne saurait être allégué.

M. VICTOR HUGO : Je demande à dire seulement quelques mots.

M. LE PRÉSIDENT : La cause a été longuement plaidée.

M. VICTOR HUGO : Il y a quelque chose de personnel sur lequel il serait nécessaire que je donnasse une explication de fait.

Un passage du plaidoyer de Me Chaix-d’Est-Ange me fournit l’occasion de rappeler un fait dont je n’avais point parlé d’abord, parce qu’il m’est honorable, et que je ne crois pas devoir me targuer de faits qui peuvent me faire honneur. Voici ce qui s’est passé :

Avant la représentation de ma pièce, prévenu par MM. les Sociétaires du Théâtre-Français que M. d’Argout voulait la censurer, je suis allé trouver le ministre, et je lui ai dit alors : moi, citoyen, parlant à lui, ministre, que je ne lui reconnaissais pas le droit de censurer un ouvrage dramatique, que ce droit était aboli, selon moi, par la Charte ; j’ajoutai que s’il prétendait censurer mon ouvrage, je le retirerais à l’instant même, et que ce serait à lui à voir s’il n’y aurait point là, pour l’autorité, une conséquence plus fâcheuse que s’il permettait de jouer le drame sans l’avoir censuré.

M. d’Argout me dit alors qu’il était d’un avis tout différent sur la matière, qu’il se croyait, lui ministre, le droit de censurer un ouvrage dramatique, mais qu’il me croyait homme d’honneur, et incapable de faire des ouvrages à allusions, ou des ouvrages immoraux, et qu’il consentait volontiers à ce que ma pièce ne fût point censurée.

Je répondis au ministre que je n’avais rien à lui demander ; que c’était un droit que je prétendais exercer. M. d’Argout ne s’opposa point à ce qu’on représentât la pièce, et il renonça à la faculté qu’il croyait avoir de faire censurer l’ouvrage.

Voilà ce qui s’est passé ; j’invoque ici le témoignage d’un homme d’honneur présent à l’audience, et qui ne me démentira pas. Si M. d’Argout avait voulu censurer ma pièce, je l’aurais retirée à l’instant même. Je déclare qu’une députation du Théâtre-Français