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principe a été consacré dans des lois si nombreuses, dans des textes si précis, qu’il suffit de les énoncer.

Après avoir cité entre autres les lois de 1790 et de 1791, et invoqué l’autorité d’un vénérable magistrat, M. Henrion de Pansey, le défenseur ajoute : Je puis encore opposer à mon adversaire le témoignage d’un de ses collègues, de M. le vicomte de Cormenin, ce défenseur si ardent, si intrépide de la liberté.

Il ne faut pas, disait M. le vicomte de Cormenin, lorsqu’il n’était encore que baron (rire presque général suivi de violentes rumeurs au fond de la salle), il ne faut pas s’écarter de ce principe tutélaire de la division des pouvoirs.

Mon adversaire vous a cité le premier un jugement rendu par ce tribunal dans l’affaire relative à la pièce de MM. Fontan et Dupeuty, au sujet du Procès du maréchal Ney. Le tribunal n’a pas seulement appuyé le rejet de la demande sur le cas de force majeure, résultat de l’intervention des gendarmes, il a nettement reconnu l’incompétence de la juridiction commerciale pour prononcer sur un acte d’administration. Dans cette affaire, en effet, on avait vu, comme dans celle-ci, une espèce de concert entre les auteurs et le théâtre, pour mettre le ministre en cause.

Me ODILON-BARROT : Ne nous accusez pas de manquer de franchise ; nous n’avons connu votre intervention qu’à l’audience.

Me CHAIX-D’EST-ANGE : Je vous prie de ne pas m’interrompre ; j’ai déjà assez de peine à lutter contre les interruptions de certains auditeurs qui épient mes moindres paroles. Vous voyez que je n’ai pu, jusqu’à présent, prononcer les mots de morale et d’outrages aux mœurs, sans exciter les plus inconcevables murmures.

On a invoqué le jugement rendu le 28 juillet 1830, dans l’affaire du Courrier Français. Un jugement rendu au milieu des combats et des périls, un jugement prononcé du haut de cette espèce de trône a proclamé l’illégalité des ordonnances du 25 juillet. Ce fut un grand acte de courage, un acte de bons citoyens ; mais faut-il, dans des moments de calme, citer ce qui s’est passé dans des temps de désordres ? Les juges qui ont rendu cette décision étaient comme les gardes nationaux, qui, illégalement aussi, se revêtaient de leur uniforme et allaient combattre pour la liberté et les lois.

Nous ne sommes heureusement plus à cette époque, et cependant M. Victor Hugo a une pensée qui le poursuit toujours ; M. Victor Hugo pense que l’ordre qui arrête sa pièce vaut au moins les ordonnances de juillet. Il pense que pour faire cesser cet ordre, on est prêt, comme lors des ordonnances de juillet, à faire une émeute ou plutôt une révolution. (Nouveaux murmures dans les mêmes parties de la salle.) L’auteur l’a dit lui-même dans une lettre par lui adressée aux journaux ; je le répète, parce que toute liberté doit entourer ici l’avocat qui parle avec conscience. (Applaudissements et bravos de la grande majorité des spectateurs.)

Oui, M. Victor Hugo a écrit qu’il voulait se jeter entre l’émeute et nous ; il a eu la complaisance, la générosité d’écrire dans les journaux pour recommander à la généreuse jeunesse des ateliers et des écoles de ne pas faire d’émeute pour lui, et de ne pas ressusciter sa pièce par une révolution.

Dans l’intérêt de l’administration, je devrais m’arrêter ici ; mais j’ai annoncé que je traiterais la question légale. Ici mes deux adversaires ne sont pas d’accord. Le client se raidit contre toute espèce d’entrave et toute espèce de mesures préventives, et veut, du moins avant la représentation, une liberté illimitée. Le défenseur n’est pas du tout du même avis : la censure pour le théâtre a paru au défenseur une question délicate ; aussi son argumentation est restée entourée de ces nuages dont son talent aime quelquefois à