Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 2.djvu/84

Cette page n’a pas encore été corrigée

longtemps, en esprit, dans notre chère patrie, nous ne pouvions qu'avec une certaine difficulté rentrer dans la réalité de notre position. Il nous semblait étrange, et pour ainsi dire impossible, de nous trouver, par une nuit silencieuse, accroupis sur quelques caractères thibétains, au milieu d'un pays inconnu, presque au bout du monde.

Le troisième jour de la première lune, Sandara-le-Barbu reparut. Pendant son absence nous avions joui d'une paix si douce et si inaltérable, que sa vue nous causa une impression pénible ; nous fûmes comme ces écoliers qui ne peuvent se défendre d'un sentiment d'effroi à l'approche du régent. Cependant Sandara fut charmant et aimable au-delà de toute expression. Après nous avoir souhaité la bonne année, et débité de la meilleure grâce du monde les phrases les plus fraternelles, les plus sentimentales, il se mit à gloser sans fin sur le petit mulet que nous lui avions prêté. D'abord, en allant, il l'avait jeté par terre une douzaine de fois, ce qui en retour lui avait fait prendre le parti d'aller à pied ; mais ce petit animal était si drôle, il l'avait tant amusé en route par ses bizarreries, qu'il n'avait pas eu le temps de se fatiguer. Après avoir assez causé de futilités, on parla affaires. Sandara nous dit que, puisque nous étions décidés à attendre l'ambassade thibétaine, il nous invitait à aller nous établir à la lamaserie de Kounboum. Puis, avec son éloquence accoutumée, il nous développa les avantages que pouvait présenter une lamaserie à des gens d'étude et de prière. Une proposition semblable mettait le comble à nos désirs ; mais nous n'eûmes garde de faire les enthousiastes. Nous nous contentâmes dédire froidement à Sandara : Essayons ..; allons voir.