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tout le monde ; personne cependant n'eut le courage de la poser franchement, et on alla se coucher en remettant au lendemain les affaires sérieuses.

Le jour avait à peine paru, que la cour de la maison où nous étions logés, se trouva encombrée d'une foule de Thibétains, qui étaient venus délibérer sur le mode de taxer notre caravane. Du haut d'un balcon du second étage, nous pûmes jouir à notre aise du singulier spectacle que présentait cette assemblée délibérante. Parmi cette nombreuse multitude, il n'y avait pas un seul individu qui ne fût orateur ; tout le monde parlait à la fois ; et à en juger par le timbre éclatant des voix, et par l'impétueuse animation des gestes, il devait, certes, se prononcer là de bien belles harangues. On voyait des orateurs monter sur les bagages entassés dans la cour, et s'en faire des tribunes d'où ils dominaient l'assemblée ; il paraissait quelquefois que l'éloquence de la parole n'était pas suffisante pour porter la conviction dans les esprits ; car on en venait aux coups, on se prenait aux cheveux, et l'on se battait avec acharnement, jusqu'à ce qu'un tribun influent parvînt à rappeler à l'ordre ses honorables confrères. Le calme n'était pas de longue durée ; le tumulte et le désordre recommençaient bientôt avec une intensité qui allait toujours croissant. La chose devint si grave, que nous demeurâmes convaincus que ces gens-là ne parviendraient jamais à se mettre d'accord, qu'ils finiraient par tirer leurs sabres de leurs fourreaux et par se massacrer entre eux. En pensant ainsi, nous nous trompions étrangement. Après que l'assemblée eut bien vociféré, hurlé, gesticulé et boxé pendant plus d'une heure, de grands éclats de rire se firent entendre, la