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ne boit de vin ; le soir sa maison n'est pas éclairée ; il se met au lit à tâtons, et se lève toujours très-tard, de peur d'avoir faim de trop bonne heure. Oh ! un être comme cela n'est pas un homme, c'est un œuf de tortue. L'ambassadeur Ki-Chan veut le casser, et il fera bien ; est-ce que dans votre pays vous avez des Leang-Taï de ce genre ? — Quelle question ! les Leang-Taï du royaume de France ne se couchent jamais sans chandelle, et quand les oulah passent chez eux, ils ne manquent jamais de préparer un bon dîner. — Ah! c'est cela ;... voilà les rites ! mais ce Sué-Mou-Tchou ... A ces mots, nous ne pûmes nous empêcher de partir d'un grand éclat de rire. — A propos, savez-vous pourquoi le Leang-Taï Sué est appelé Sué-Mou-Tchou ? — Ce nom nous paraît bien ignoble. — Ignoble, c'est vrai, mais il fait allusion à une anecdote bien singulière. Le Leang-Taï Sué, avant d'être envoyé à Lha-Ri, exerçait le mandarinat dans un petit district de la province du Kiang-Si. Un jour deux hommes du peuple se présentèrent à son tribunal, et le prièrent de prononcer son jugement au sujet d'une truie dont ils se contestaient mutuellement la propriété. Le juge Sué prononça ainsi son arrêt : Ayant séparé la vérité du mensonge, je vois clairement que cette truie n'est ni à toi, ni à toi ... Je déclare donc qu'elle m'appartient : qu'on respecte ce jugement ! Les satellites du tribunal allèrent s'emparer de la truie, et le juge la fit vendre au marché voisin. Depuis cet événement, le Mandarin Sué est appelé partout Sué-Mou-Tchou (c'est-à-dire Sué la truie). — Le récit de cette aventure nous fit vivement regretter d'être obligés de nous mettre en route, sans voir la physionomie de cet intéressant personnage.