Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 2.djvu/388

Cette page n’a pas encore été corrigée

qualité de Tou-Sse, devait avoir une escorte de quinze soldats.

Ly-Kouo-Ngan était très-instruit pour un Mandarin militaire ; les connaissances qu'il avait de la littérature chinoise, et surtout son caractère éminemment observateur, rendaient sa conversation piquante et pleine d'intérêt. Il parlait lentement, d'une manière même traînante ; mais il savait admirablement donner à ses récits une tournure dramatique et pittoresque. Il aimait beaucoup à s'occuper de questions philosophiques et religieuses ; il avait même, disait-il, de magnifiques projets de perfection pour le temps où, libre et tranquille dans sa famille, il n'aurait plus à s'occuper qu'à jouer aux échecs avec ses amis, ou à aller voir la comédie. Il ne croyait ni aux Bonzes, ni aux Lamas ; quant à la doctrine du Seigneur du ciel, il ne savait pas trop ce que c'était ; il avait besoin de s'en instruire avant de l'embrasser. En attendant, toute sa religion consistait en une fervente dévotion pour la Grande-Ourse ; il affectait des manières aristocratiques, et d'une politesse exquise ; malheureusement, il lui arrivait parfois de s'oublier, et de laisser percer son origine tout-à-fait plébéienne. Il est inutile d'ajouter que Son Excellence le Pacificateur des royaumes était amateur des lingots d'argent ; sans cela, il eût été difficile de reconnaître en lui un Chinois, et surtout un Mandarin.

Ly-Kouo-Ngan nous fit servir un déjeuner de luxe ; sa table nous parut d'autant mieux servie, que, depuis deux ans, nous étions accoutumés à vivre un peu comme des sauvages. L'habitude de manger avec les doigts nous avait fait presque oublier de nous servir des bâtonnets chinois.