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rendait que chez les pauvres. Les riches avaient beau le solliciter, il dédaignait de répondre à leurs invitations, à moins qu'il n'y fût forcé par la nécessité d'obtenir quelque secours ; car il ne recevait jamais rien des pauvres au service desquels il s'était voué. Le temps qui n'était pas absorbé par la visite des malades, il le consacrait à l'étude ; il passait même la majeure partie de la nuit sur ses livres. Il dormait peu, et ne prenait par jour qu'un seul repas de farine d'orge, sans qu'il lui arrivât jamais d'user de viande. Il n'y avait, au reste, qu'à le voir, pour se convaincre qu'il menait une vie rude et pénible : sa figure était d'une pâleur et d'une maigreur extrêmes ; et quoiqu'il fût âgé tout au plus d'une trentaine d'années, il avait les cheveux presque entièrement blancs.

Un jour, il vint nous voir pendant que nous récitions le bréviaire dans notre petite chapelle ; il s'arrêta à quelques pas de la porte, et attendit gravement et en silence. Une grande image coloriée, représentant le crucifiement, avait sans doute fixé son attention ; car aussitôt que nous eûmes terminé nos prières, il nous demanda brusquement et sans s'arrêter à nous faire les politesses d'usage, de lui expliquer ce que signifiait cette image. Quand nous eûmes satisfait à sa demande, il croisa les bras sur sa poitrine, et sans dire un seul mot, il demeura immobile et les yeux fixés sur l'image du crucifiement ; il garda cette position pendant près d'une demi-heure ; ses yeux enfin se mouillèrent de larmes ; il étendit ses bras vers le Christ, puis tomba à genoux, frappa trois fois la terre de son front, et se releva en s'écriant : — Voilà le seul Bouddha que les hommes doivent adorer ! — Ensuite il se tourna vers nous, et après