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et peut-être eût fini par nous faire écarteler ; car les Thibétains, nous ne savons trop pourquoi, se sont mis dans la tête que les Anglais sont un peuple envahisseur et dont il faut se défier.

Pour couper court à tous les bavardages qui circulaient sur notre compte, nous prîmes la résolution de nous conformer à un règlement en vigueur à Lha-Ssa, et qui prescrit à tous les étrangers qui veulent séjourner dans la ville, pendant quelque temps, d'aller se présenter aux autorités. Nous allâmes donc trouver le chef de la police, et nous lui déclarâmes que nous étions du ciel d'occident, d'un grand royaume appelé la France, et que nous étions venus dans le Thibet pour y prêcher la religion chrétienne dont nous étions ministres. Le personnage à qui nous fîmes cette déclaration fut sec et impassible comme un bureaucrate. Il tira flegmatiquement son poinçon de bambou de derrière l'oreille, et se mit à écrire, sans réflexion aucune, ce que nous venions de lui dire. Il se contenta de répéter deux ou trois fois entre les dents les mots France et religion chrétienne, comme un homme qui ne sait pas trop de quoi on veut lui parler. Quand il eut achevé d'écrire, il essuya à ses cheveux son poinçon encore imbibé d'encre, et le réinstalla derrière l'oreille droite en nous disant : — Yak pore, C'est bien. — Témou chu, Demeure en paix, lui répondîmes-nous ; et après lui avoir tiré la langue, nous sortîmes tout enchantés de nous être mis en règle avec la police. Nous circulâmes dès lors dans les rues de Lha-Ssa d'un pas plus ferme, plus assuré, et sans tenir aucun compte des propos qui bourdonnaient incessamment à nos oreilles. La position légale que nous venions de nous faire, nous relevait à