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et sans doute unique dans le monde : avant de sortir de leurs maisons, elles se frottent le visage avec une espèce de vernis noir et gluant, assez semblable à de la confiture de raisin. Comme elles ont pour but de se rendre laides et hideuses, elles répandent sur leur face ce fard dégoûtant à tort et à travers, et se barbouillent de manière à ne plus ressembler à des créatures humaines. Voici ce qui nous a été dit sur l'origine de cette pratique monstrueuse (1)[1] : Il y a à peu près deux cents ans, le Nomekhan, ou Lama-Roi qui gouvernait le Thibet antérieur, était un homme rigide et de mœurs austères. A cette époque, les Thibétaines, pas plus que les femmes des autres contrées de la terre, n'étaient dans l'habitude de s'enlaidir ; elles avaient au contraire, dit-on, un amour effréné du luxe et de la parure ; de là naquirent des désordres affreux, et une immoralité qui ne connut plus de bornes. La contagion gagna peu à peu la sainte famille des Lamas ; les couvents bouddhiques se relâchèrent de leur antique et sévère discipline, et furent travaillés d'un mal qui les poussait rapidement à une complète dissolution. Afin d'arrêter les progrès d'un libertinage qui était devenu presque général, le Nomekhan publia un édit, par lequel il était défendu aux femmes de paraître en public, à moins de se barbouiller la figure de la façon que nous avons déjà dite. De hautes considérations morales et religieuses motivaient cette loi étrange, et menaçaient les réfractaires des peines les plus

  1. (1) Il paraît que cet usage est bien plus ancien, car le moine Rubruk, envoyé en 1252 par saint Louis au grand Khan des Tartares, dit en parlant des femmes de la Haute-Asie : Deturpant se turpiter pingendo facies suas. — Recueil de voyages et de mémoires publié par la Société de géographie, tom. IV. Page 233. (1852)