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d'honneur qui ne quittaient jamais ses côtés. Quand on était arrivé au campement, au lieu de rester continuellement assis sur des coussins, au fond de sa tente, et de singer les idoles des lamaseries, il eût bien mieux aimé se répandre dans le désert, et s'abandonner comme tout le monde aux travaux de la vie nomade ; mais rien de tout cela ne lui était permis. Son métier, à lui, consistait à faire le Bouddha, sans se mêler aucunement des soins qui ne devaient regarder que les simples mortels.

Le jeune Chaberon se plaisait assez à venir de temps en temps causer dans notre tente ; au moins, lorsqu'il était avec nous, il lui était permis de mettre de côté sa divinité officielle, et d'appartenir franchement à l'espèce humaine. Il était très-curieux d'entendre ce que nous lui racontions des hommes et des choses de l'Europe. Il nous questionnait avec beaucoup d'ingénuité sur notre religion ; il la trouvait très-belle : et quand nous lui demandions s'il ne vaudrait pas mieux être adorateur de Jéhovah que Chaberon, il nous répondait qu'il n'en savait rien. Il n'aimait pas, par exemple, qu'on lui demandât compte de sa vie antérieure et de ses continuelles incarnations ; il rougissait à toutes ces questions, et finissait par nous dire que nous lui faisions de la peine en lui parlant de toutes ces choses-là. C'est qu'en effet le pauvre enfant se trouvait engagé dans une espèce de labyrinthe religieux auquel il ne comprenait rien du tout.

La route qui conduit de Na-Pcthu à Lha-Ssa est, en général, rocailleuse et très-fatigante. Quand on arrive à la chaîne des monts Koïran, elle est d'une difficulté extrême. Pourtant, à mesure qu'on avance, on sent son cœur s'épanouir,