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du chemin. Un jour, que l'épuisement de nos bêtes de somme nous avait forcés de ralentir notre marche, et de rester un peu en arrière de la troupe, nous aperçûmes un voyageur assis à l'écart sur une grosse pierre ; il avait la tête penchée sur sa poitrine, les bras pressés contre les flancs, et demeurait immobile comme une statue. Nous rappelâmes à plusieurs reprises, mais il ne nous répondit pas ; il ne témoigna pas même, par le plus petit mouvement, qu'il eût entendu notre voix. — Quelle folie, nous disions-nous, de s'arrêter ainsi en route avec un temps pareil! Ce malheureux va certainement mourir de froid

Nous l'appelâmes encore, mais il garda toujours la même immobilité. Nous descendîmes de cheval, et nous allâmes vers lui. Nous reconnûmes un jeune Lama mongol, qui était venu souvent nous visiter dans notre tente. Sa figure était comme de la cire, et ses yeux entr'ouverts avaient une apparence vitreuse ; il avait des glaçons suspendus aux narines et aux coins de la bouche. Nous lui adressâmes la parole sans pouvoir obtenir un seul mot de réponse : un instant nous le crûmes mort. Cependant il ouvrit les yeux, et les fixa sur nous avec une horrible expression de stupidité : ce malheureux était gelé, et nous comprimes qu'il avait été abandonné par ses compagnons. Il nous parut si épouvantable de laisser ainsi mourir un homme sans essayer de lui sauver la vie, que nous ne balançâmes point à le prendre avec nous. Nous l'arrachâmes de dessus cette affreuse pierre où on l'avait mis, et nous le plaçâmes sur le petit mulet de Samdadchiemba, Nous l'enveloppâmes d'une couverture, et nous le conduisîmes ainsi jusqu'au campement. Aussitôt que la tente fut dressée, nous allâmes visiter