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descendit de cheval, détacha la sous-ventrière de la selle, et la remit au jeune homme, en lui disant : Ton père m'avait donné cette courroie ; puisqu'il la regrette, reporte-la lui ; les vieillards sont fantasques, il faut cependant les respecter toujours, et éviter avec soin de leur causer du chagrin ... Le Lama détacha sa ceinture, en fit une sous-ventrière, et continua sa route, tandis que le jeune homme retournait en toute hâte vers sa demeure.

Il arriva pendant la nuit, et trouva sa tente environnée d'une multitude de bergers, qui, ne comprenant rien aux gémissements du grand saint de la contrée, attendaient son retour avec anxiété. — Mon père, mon père ! s'écria le jeune homme, en mettant pied à terre, calmez-vous, voici votre courroie que je vous rapporte. — Et l'étranger, dit le vieillard, l'as-tu mis à mort ? — Je l'ai laissé aller en paix dans son pays. N'aurais-je pas commis un grand crime, en tuant un Lama qui ne vous a fait aucun mal. Voici la courroie qu'il vous avait volée ... Et en disant ces mots, il la remit entre les mains de son père. Le vieillard frissonna de tous ses membres, car il comprit que son fils avait pris le change. Le même mot mongol signifie, en effet, tout à la fois courroie et secret. Le vieillard avait voulu dire à son fils de tuer l'étranger qui lui avait volé son secret. Mais, voyant qu'on lui rapportait une courroie, il s'écria : L'occident triomphe ! c'est la volonté du ciel ! Il avertit ensuite les bergers de s'enfuir à la hâte avec leurs troupeaux, s'ils ne voulaient pas être engloutis par les eaux. Pour lui, il se prosterna au milieu de sa tente, et attendit la mort avec résignation.

Le jour avait à peine commencé à paraître, qu'on entendit