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Un accident m'est arrivé en passant par ici ; j'ai cassé la sous-ventrière de ma selle, et je suis venu dans ta tente pour la réparer. —Je suis aveugle, dit le vieillard, je ne puis moi-même te servir ; regarde à côté de la tente, tu trouveras des courroies, prends celle qui te conviendra le mieux pour arranger ta selle ... Pendant que l'étranger choisissait une bonne courroie pour faire une sous-ventrière, le vieillard lui dit : — O Lama des contrées orientales ! tu es heureux de pouvoir passer tes jours à visiter nos monuments sacrés ! Les temples les plus magnifiques sont dans les contrées mongoles ; les Poba (Thibétains) ne parviendront jamais à en avoir de semblables : c'est en vain qu'ils font des efforts pour en élever dans leur belle vallée ; les fondements qu'ils jetteront seront toujours sapés par les flots d'une mer souterraine dont ils ne soupçonnent pas l'existence ... Après un moment de silence, le vieillard ajouta : Je viens de prononcer ces paroles, parce que tu es un Lama mongol, mais tu dois les conserver dans ton cœur, et ne les communiquer à personne. Si dans tes pèlerinages, tu viens à rencontrer un Lama du royaume d'Oui, veille avec soin sur ta langue, car la révélation de mon secret causerait la ruine de nos contrées. Quand un Lama du royaume d'Oui saura que, dans leur vallée, il existe une mer souterraine, les eaux s'échapperont aussitôt, et viendront inonder nos prairies.

A peine eut-il achevé de parler, que l'étranger se leva et lui dit : — Infortuné vieillard, sauve-toi ! sauve-toi à la hâte ! les eaux vont bientôt arriver, car je suis un Lama du royaume d'Oui !... A ces mots, il sauta sur son cheval et disparut dans le désert.