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deux sacs de farine de froment, et huit sacs de tsamba. On appelle tsamba la farine d'orge grillée ; ce mets insipide est la nourriture habituelle des peuples thibétains. On prend une demi-écuellée de thé bouillant ; on ajoute pardessus quelques poignées de tsamba, qu'on pétrit avec ses doigts ; puis on avale, sans autre façon, cette espèce de pâte, qui n'est, en définitive, ni crue, ni cuite ni froide, ni chaude. Si on veut traverser le désert et arriver à LhaSsa, on doit se résigner à dévorer du tsamba ; on a beau être Français, et avoir été accoutumé jadis à manger à la fourchette, il faut en passer par là.

Des personnes pleines d'expérience et de philanthropie, nous conseillèrent de faire une bonne provision d'ail, et d'en croquer tous les jours quelques gousses, si nous ne voulions pas être tués en route par des vapeurs meurtrières et empestées, qui s'échappent de certaines montagnes élevées. Sans discuter ni le mérite ni l'opportunité de ce conseil hygiénique, nous nous y conformâmes avec candeur et simplicité.

Notre séjour dans la vallée de Tchogortan avait été très-favorable à nos animaux ; ils étaient parvenus à un état d'embonpoint où nous ne les avions jamais vus ; les chameaux, surtout, étaient magnifiques ; leurs bosses devenues fermes et dures, par l'abondance de la graisse qu'elles contenaient, se dressaient fièrement sur leurs dos, et semblaient défier les fatigues et les privations du désert. Cependant, trois chameaux ne pouvaient suffire à porter nos vivres et nos bagages. Nous ajoutâmes donc à notre caravane un supplément d'un chameau et d'un cheval, ce qui allégea notre bourse du poids de vingt-cinq onces d'argent ; de