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l'eau-de-vie, parce que cette boisson funeste trouble la raison, et soulève les passions du cœur ; le tabac, parce qu'il engendre la paresse, et absorbe des moments précieux qui doivent être consacrés à l'étude des prières et de la doctrine. Malgré ces prohibitions, très-bien motivées, les Lamas, qui ont pour principe de se sanctifier à la manière de Sandara, ne se font pas faute de fumer, de s'enivrer, et d'assaisonner à l'ail cru leur farine d'orge. Mais tout cela se fait en cachette et à l'insu de la police. Dans la lamaserie de Kounboum, Sandara était le patron et l'introducteur des colporteurs chinois, qui faisaient la contrebande des denrées prohibées. Il se chargeait volontiers d'en faciliter la circulation, moyennant quelques légers bénéfices.

Quelques jours après la fête des fleurs, nous reprîmes avec courage l'étude du thibétain. Sandara venait tous les matins travailler avec nous. Nous nous occupâmes de la rédaction d'un abrégé de l'Histoire sainte, depuis la création du monde jusqu'à la prédication des apôtres. Nous donnâmes à ce travail la forme dialoguée. Les deux interlocuteurs étaient un Lama de Jéhovah et un Lama de Bouddha. Sandara s'occupait de ses fonctions en véritable mercenaire. Les dispositions qu'il avait d'abord manifestées à Tang-Keou-Eul, ses signes de croix, son penchant pour la doctrine chrétienne, tout cela n'avait été qu'une pure comédie. Les idées religieuses n'avaient plus aucune prise sur ce cœur cupide et blasé. Il avait rapporté de son long séjour parmi les Chinois, une incrédulité frondeuse, dont il aimait souvent à faire parade. A ses yeux, toute religion n'était qu'une industrie inventée par les gens d'esprit, pour l'exploitation des imbéciles. La vertu était