Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 2.djvu/132

Cette page n’a pas encore été corrigée

compagnons, et ce récit apportait un allégement à notre douleur.

« .... Trois lunes après notre départ de Lha-Ssa, nous arrivâmes à la frontière de Chine. Là nous nous séparâmes ; les deux Lamas d'Amdo remontèrent vers le nord, pour rejoindre leur pays : pour moi, je traversai la muraille de dix mille lis, et j'entrai dans la province du Sse-Tchouen. Après quelques jours, je trouvai dans une auberge une troupe de comédiens. Pendant toute la nuit, on chanta, on but du vin de riz, et on débita des paroles creuses. — Dans ce pays de Sse-Tchouen, me dit le chef de la troupe, il n'y a pas de Lamas ; que veux-tu faire de cette robe rouge et de ce chapeau jaune ? — Tu parles raison, lui répondis-je ; dans un pays de Lamas, être Lama, c'est bien : mais dans un pays de comédiens, il faut être comédien. Me voulez-vous dans la troupe ? — Bravo, bravo ! s'écria tout le monde ; te voilà des nôtres ... Et, à ces mots, chacun me fit une profonde inclination, à laquelle je répondis en tirant la langue et en me grattant l'oreille, selon la manière de saluer des Thibétains. D'abord cette affaire ne fut qu'un petit jeu ; mais ensuite, venant à réfléchir qu'il ne me restait guère plus de viatique pour continuer ma route, je pris la chose au sérieux. Nous fîmes des arrangements avec le chef de la bande, et décidément je fus comédien.

«  .... Le lendemain, j'empaquetai mon costume religieux, et j'endossai les habits du monde. Comme ma mémoire était depuis longtemps exercée par l'étude des prières, il m'en coûta peu d'apprendre les rôles des comédies ; il me suffit de quelques jours pour devenir un habile acteur. Nous donnâmes des représentations, pendant plus