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essuya l'écuelle du pan de sa robe, et après l'avoir replacée dans son sein, il nous parla de la sorte : Mes Pères spirituels, puisque vous voulez que je vous parle de moi, je vais vous dire une histoire ; c'est un gros péché que j'ai commis : mais je pense que Jéhovah me l'a pardonné, quand je suis entré dans la sainte Eglise.

J'étais un tout jeune enfant ; j'avais alors tout au plus sept ans. J'étais dans les champs qui avoisinent la maison de mon père, occupé à faire paître une vieille ânesse ; la seule bête que nous eussions chez nous. En de mes camarades, enfant du voisinage, et à peu près de mon âge, vint jouer avec moi. Bientôt nous nous prîmes de querelle ; des malédictions nous en vînmes aux coups. En le frappant d'une grosse racine d'arbre que je tenais à la main, je lui donnai un si rude coup sur la tête, qu'il tomba sans mouvement à mes pieds. Quand je vis mon camarade étendu par terre, je demeurai un instant immobile et sans savoir ce que je devais faire. La peur s'empara de moi ; car je pensais qu'on allait me prendre et me tuer. J'examinai d'abord quelque temps autour de moi, si je ne trouverais pas quelque trou pour cacher mon camarade ; mais ce fut en vain. Je songeai alors à me cacher moi-même ; à quelques pas de notre maison il y avait un grand tas de broussailles qu'on réservait pour le chauffage. Je me dirigeai vers ces broussailles, et je travaillai à faire un trou qui pût aller à peu près jusqu'au centre. Enfin, après m'être bien ensanglanté la figure et les mains à cette pénible besogne, je m'enfonçai dans ma cachette, bien décidé à ne plus en sortir.

Quand la nuit fut venue, je compris qu'on me cherchait,