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assuré l’inviolabilité du territoire dont nous venions de prendre possession, nous allâmes recueillir des argols[1], et faire quelques fagots de branches sèches. Bientôt la cuisine fut en train. Dès que nous vîmes l’eau de notre chaudière entrer en ébullition, nous y précipitâmes quelques paquets de Kouamien, ou pâte préparée d’avance, et tirée en fil à peu près à la façon du vermicelle. En guise d’assaisonnement, nous y ajoutâmes quelques rognures d’une assez belle tranche de lard, dont nous avaient fait hommage les chrétiens de Yan-Pa-Eul. A peine le ragoût fut-il soupçonné cuit à point, que chacun exhiba de son sein son écuelle de bois, et la remplit de Kouamien. Notre souper était détestable, immangeable ! Nous nous regardâmes en riant, mais au fond du cœur un peu contrariés, car nous sentions que nos entrailles se tordaient de faim. Les fabricants de Kouamien le salent ordinairement, pour le rendre incorruptible, et pouvoir le conserver longtemps en magasin. Celui que nous avions acheté était horriblement salé. Il fallut donc se résigner à recommencer l’opération. Nous donnâmes le premier bouillon à Arsalan qui n’en voulut pas, et après avoir fait le lavage à grande eau de cette misérable soupe, nous la fîmes bouillir une seconde fois. Cette seconde expérience ne fut guère plus heureuse que la première. Le potage demeurant toujours excessivement salé, nous fûmes contraints d’y renoncer. Mais Samdadchiemba dont l’estomac était accoutumé et aguerri à toute sorte de cuisine, se précipita avec héroïsme sur la chaudière. Pour nous, dans ce contre temps, nous eûmes recours au sec et

  1. Les Tartares appellent argol la fiente des animaux, lorsqu’elle est desséchée et propre au chauffage.