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où on avait fait cuire les boudins. Aussitôt tous les membres du banquet s'invitèrent mutuellement, et chacun tirant de son sein son écuelle de bois, on se mit à puiser à la ronde des rasades d'un liquide fumant et sale, auquel on donnait le nom pompeux de sauce. Pour ne pas paraître excentriques, et avoir l'air de mépriser la cuisine tartare, nous fîmes comme tout le monde. Nous plongeâmes notre écuelle dans le récipient ; mais ce ne fut que par de généreux efforts que nous pûmes avaler cette sauce verdâtre, et qui sentait l'herbe à moitié ruminée. Les Tartares, au contraire, trouvaient tout cela délicieux, et vinrent facilement à bout de cet épouvantable gala ; ils ne s'arrêtèrent que lorsqu'il ne resta plus rien, pas une goutte de sauce, pas un pouce de boudin.

La fête étant terminée, le petit homme noir nous salua et prit pour son salaire les quatre pieds du mouton. Outre cet honoraire, fixé par les usages antiques des Mongols, nous y joignîmes, en supplément, une poignée de feuilles de thé ; car nous voulions qu'il pût se souvenir longtemps et parler à ses compatriotes de la générosité des Lamas du ciel d'occident.

Tout le monde étant bien régalé, nos voisins prirent leur batterie de cuisine, et s'en retournèrent chez eux ; mais le jeune Lama ne voulut pas nous laisser seuls. Après avoir beaucoup parlé et de l'occident et de l'orient, il décrocha le squelette qui était encore suspendu à l'entrée de la tente, et s'amusa à nous réciter, en chantant, la nomenclature de tous les ossements, grands et petits, qui composent la charpente du mouton. Il s'aperçut que notre science sur ce point était très-bornée, et il en parut extrêmement surpris.