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en désordre le long de son menton. Enfin, deux proéminences placées, l'une sur le dos, et l'autre devant la poitrine, donnaient à ce petit boucher une ressemblance parfaite avec les portraits d'Esope ; qu'on rencontre quelquefois sur certaines éditions des Fables de la Fontaine.

La voix forte et sonore de l'homme noir contrastait singulièrement avec l'exiguité de son corps grêle et rabougri. Il ne perdit pas beaucoup de temps à faire des compliments à la compagnie. Après avoir dardé ses petits yeux noirs sur le mouton qui était attaché à un des clous de la tente : — C'est donc cet animal que vous voulez mettre en ordre ? dit-il ... Et tout en lui palpant la queue, pour juger de son embonpoint, il lui donna un croc-en-jambe, et le renversa avec une remarquable dextérité. Aussitôt il lui lia solidement les quatre pattes ensemble. Pendant qu'il mettait à nu son bras droit, en rejetant en arrière la manche de son habit de peau, il nous demanda s'il fallait faire l'opération dans la tente ou dehors. — Dehors, lui dîmes-nous. — Dehors, hé bien, dehors ... En disant ces mots, il retira d'un étui de cuir, suspendu à sa ceinture, un couteau à large poignée, mais dont un long usage avait rendu la lame mince et étroite. Après en avoir tâté un instant la pointe avec son pouce, il l'enfonça tout entière dans les flancs du mouton ; il la retira toute rouge ; l'animal était mort, mort du coup, sans faire aucun mouvement ; pas une goutte de sang n'avait jailli de la blessure. Cela nous étonna beaucoup, et nous demandâmes au petit homme noir comment il s'y était pris, pour tuer ce mouton si lestement et si proprement. — Nous autres Tartares, dit-il, nous ne tuons pas de la même façon que les Kitat. Ceux-ci