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de cuisine, le Lama nous invita, par politesse, à aller nous reposer tout doucement dans notre tente. Il jugeait, à notre air, que nous ne pourrions, sans déroger, assister de trop près à cette scène de charcuterie. Cette invitation ne faisait guère notre affaire. Nous demandâmes s'il n'y aurait pas d'inconvénient à nous asseoir sur le gazon, à une distance respectueuse, et avec promesse de ne toucher à rien. Après quelques difficultés, on s'aperçut que nous étions curieux de voir, et on nous fit grâce de l'étiquette.

Le Lama paraissait préoccupé. Ses regards se tournaient avec inquiétude vers le nord de la vallée, comme s'il eût examiné au loin quelque chose. — Ah ! bon, dit-il, d'un air satisfait, le voici enfin qui arrive. — Qui arrive ? de qui parles-tu ? — Holà ! j'avais oublié de vous dire que j'avais été là-bas, tout à l'heure, inviter un homme noir très-habile à tuer les moutons ; le voici qui arrive. — Nous nous levâmes aussitôt, et nous vîmes, en effet, quelque chose se mouvoir parmi les bruyères du vallon. Nous ne pûmes pas tout d'abord distinguer clairement ce que c'était ; car bien qu'il avançât avec assez de rapidité, l'objet ne paraissait guère grandir. Enfin, le personnage le plus singulier que nous ayons vu de notre vie se présenta à notre vue. Nous fûmes obligés de faire de grands efforts pour comprimer les mouvements d'hilarité qui commençaient à s'emparer de nous. Cet homme noir semblait être âgé d'une cinquantaine d'années, mais sa taille ne dépassait pas la hauteur de trois pieds. Sur le sommet de sa tête, terminée en pain de sucre, s'élevait une petite touffe de cheveux mal peignés. Une barbe grise clairsemée descendait