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plaines de la Tartarie, était à cette heure complètement dispersée : hommes et animaux, tout avait disparu. Il ne restait plus que M. Hue, seul dans sa petite maison de toile, et dévoré par les plus cuisants soucis. Il y avait une journée entière qu'il n'avait ni bu ni mangé : mais dans de pareilles circonstances on n'a ordinairement ni faim ni soif ; l'esprit est trop préoccupé, pour s'arrêter aux besoins du corps ; on se trouve comme environné de mille fantômes, et on serait au comble de l'infortune, si on n'avait, pour se consoler, la prière, seul levier capable de soulever un peu ce poids écrasant, qui pèse sur un cœur en proie à de noires appréhensions.

Les heures s'écoulaient, et personne ne reparaissait à la tente. Comme, au milieu de cette nuit profondément obscure, on aurait pu aller et venir, circuler tout près de la tente, sans pourtant l'apercevoir, M. Huc montait de temps en temps sur le sommet des collines, sur la pointe de quelque rocher, et appelait à grands cris ses compagnons égarés ; mais personne ne répondait ; toujours même silence et même solitude. Il était près de minuit, lorsque enfin les cris plaintifs d'un chameau, dont on semblait presser la marche, se firent entendre dans le lointain. Samdadchiemba était de retour de sa ronde ; il avait rencontré plusieurs cavaliers tartares qui n'avaient pu lui donner des nouvelles de M. Gabet. Mais en revanche, ils lui avaient dit que nous nous étions grossièrement fourvoyés ; que le sentier dont nous avions suivi la trace conduisait à un campement mongol, et non pas à la lamaserie de Rache-Tchurin. — A l'aube du jour, dit Samdadchiemba, il faudra lever la tente, et aller reprendre la bonne route : c'est là que nous trouverons