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lours violet ; un bonnet jaune surmonté d’une pommette rouge complétait notre nouveau costume.

Le déjeuner suivit cette opération décisive ; mais il fut morne et silencieux. Quand l’intendant de la caisse apporta les petits verres et l’urne où fumait le vin chaud des Chinois, nous lui déclarâmes qu’ayant changé d’habit, nous devions aussi modifier nos habitudes de vivre. — Emporte, lui dîmes-nous, ce vin et ce réchaud ; dès aujourd’hui nous renonçons au vin et à la pipe. Tu sais, ajoutâmes-nous en riant, que les bons Lamas s’abstiennent de fumer et de boire du vin. Les chrétiens chinois dont nous étions entourés ne riaient pas, eux ; ils nous regardaient sans rien dire, et d’un œil de commisération : car ils étaient persuadés au fond du cœur, que nous mourrions de privations et de misère dans les déserts de la Tartarie. Quand le déjeuner fut fini, pendant que les gens de l’auberge pliaient la tente, sellaient les chameaux et organisaient le départ, nous prîmes quelques petits pains cuits à la vapeur d’eau, et nous allâmes cueillir le dessert sur des groseillers sauvages, le long du ruisseau voisin. Bientôt on vint nous avertir que tout était prêt. Nous enfourchâmes nos montures, et nous prîmes la route de Tolon-Noor, accompagnés de notre seul Samdadchiemba.

Voilà donc que nous étions lancés seuls et sans guide au milieu d’un monde nouveau ! Désormais nous ne devions plus trouver devant nous des sentiers battus par des Missionnaires anciens ; car nous marchions à travers un pays où nul n’avait encore prêché la vérité évangélique. C’en était fait ; nous n’aurions plus à nos côtés ces chrétiens si empressés à nous servir, et cherchant toujours par leurs soins