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grand Lama. C'est lui-même qui veut bien se donner la peine de les initier au secret de sa transformation. Aussitôt qu'il a opéré sa métamorphose dans le Thibet, il se révèle lui-même en naissant, et à un âge où les enfants ordinaires ne savent encore articuler aucune parole. — C'est moi, dit-il avec l'accent de l'autorité, c'est moi qui suis le grand Lama, le Bouddha vivant de tel temple ; qu'on me conduise dans mon ancienne lamaserie, j'en suis le supérieur immortel... Le prodigieux bambin ayant parlé de la sorte, on se hâte de faire savoir aux Lamas du 'soumé désigné, que leur Chaberon est né à tel endroit, et on les somme de sa part d'avoir à venir l'inviter.

De quelque manière que les Tartares découvrent la résidence de leur grand Lama, que ce soit par l'apparition de l'arc-en-ciel, ou par la révélation spontanée du Chaberon lui-même, ils sont toujours dans les transports de la joie la plus vive. Bientôt tout est en mouvement dans les tentes, et on fait avec enthousiasme les mille préparatifs d'un long voyage ; car c'est presque toujours dans le Thibet qu'il faut se rendre, pour inviter ce Bouddha-vivant, qui manque rarement de leur jouer le mauvais tour d'aller transmigrer dans des contrées lointaines et presque inaccessibles ; tout le monde veut contribuer de son mieux à l'organisation du saint voyage, si le roi du pays ne se met pas lui-même en tête de la caravane, il envoie son propre fils, ou un des membres les plus illustres de la famille royale ; les grands Mandarins, ou ministres du roi, se font un devoir et un honneur de se mettre aussi en route. Quand tout enfin est préparé, on choisit un jour heureux, et la caravane s'ébranle.