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mit à l'eau, et passa à ses reins une corde dont l'extrémité était attachée à l'avant de l'embarcation. Pendant qu'il s'épuisait à tirer, armés chacun d'une perche nous poussions de toutes nos forces ; cependant tous nos efforts réunis n'obtenant que de faibles résultats, le batelier remonta sur la barque, et se coucha de découragement. — Puisque nous ne pouvons avancer, dit-il, attendons ici que l'entreprise des transports vienne à passer, nous nous mettrons à la suite ... Nous attendîmes donc.

Le batelier était triste et abattu ; il se reprochait hautement de s'être chargé de cette pénible corvée. De notre côté, nous nous en voulions aussi un peu, d'avoir cherché à économiser nos sapèques, et de n'être pas partis sur la barque de passage. Nous eussions bien pris le parti de nous mettre à l'eau, et de continuer ainsi notre route ; mais, outre la difficulté de porter les bagages, la chose eût été dangereuse. Le sol étant d'une affreuse irrégularité, les eaux, parfois d'une profondeur effrayante, devenaient tout à coup si basses, qu'elles ne pouvaient supporter la nacelle la plus légère.

Il était près de midi quand nous aperçûmes venir trois barques de passage ; elles appartenaient à la famille qui faisait le monopole du bac. Après avoir beaucoup sué pour nous désembourber, nous allâmes nous mettre à leur suite ; mais elles ralentirent à dessein leur marche pour nous attendre. Nous remarquâmes bientôt le patron avec lequel nous nous étions d'abord abouché pour traiter du prix du passage ; lui-même nous avait reconnus, et les regards obliques et courroucés qu'il nous lançait, tout en agitant sa rame, témoignaient assez de sou dépit. — Œuf de