Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 1.djvu/256

Cette page n’a pas encore été corrigée

remplissaient les airs d'une sauvage harmonie. En entendant les cris de colère et les accents passionnés de tous ces oiseaux voyageurs, qui se disputaient avec acharnement les touffes d'herbes marécageuses où ils voulaient passer la nuit, on eût dit un peuple nombreux dans les transports d'une guerre civile, où chacun s'agite, chacun se remue dans la confusion et le désordre, espérant conquérir, à force de clameurs et de violence, un peu de bien-être, pour cette vie, hélas ! si semblable à une nuit passagère.

La Tartarie est peuplée d'oiseaux nomades ; on les voit sans cesse passer au haut des airs, par nombreux bataillons, et former, dans leur vol régulièrement capricieux, mille dessins bizarres, qui renaissent aussitôt qu'ils se sont évanouis. O ! comme ces oiseaux voyageurs sont bien à leur place dans les déserts de la Tartarie, où les hommes eux-mêmes, n'occupant jamais la même place, vivent au milieu de migrations continuelles ! Nous aimions à écouter le bruit confus de ces êtres voyageurs et nomades comme nous. En pensant à leurs longues pérégrinations, et aux nombreux pays qu'ils avaient parcourus dans leurs rapides courses, le souvenir de la patrie venait nous saisir, et l'image de notre France se présentait soudainement à nous. Qui sait ?... nous disions-nous, parmi ces myriades d'oiseaux de passage, peut-être y en a-t-il quelques-uns qui ont traversé le beau climat de France ? Peut-être ont-ils été quelquefois chercher leur pâture dans les plaines du Languedoc, ou sur les montagnes du Jura ? Après avoir visité notre patrie, ils ont, sans doute, pris leur route vers le nord de l'Europe, et sont venus jusqu'à nous, en traversant