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de travailler pour un monde à venir, et mille autres pensées salutaires, venaient d'elles-mêmes, et sans effort, occuper doucement notre esprit. C'est que dans le désert le cœur de l'homme est libre ; il n'a à subir aucun genre de tyrannie. Elles étaient bien loin de nous, toutes ces idées systématiques et creuses, ces utopies d'un bonheur imaginaire, qu'on croit saisir sans cesse et qui sans cesse s'évanouit, ces inépuisables combinaisons de l'égoïsme et de l'intérêt, en un mot, toutes ces passions brûlantes, qui, en Europe, se froissent, s'entrechoquent, s'échauffent mutuellement, font fermenter toutes les têtes, et tiennent tous les cœurs haletants. Au milieu de nos prairies silencieuses, rien ne venait nous distraire et nous empêcher de réduire à leur juste valeur les bagatelles de ce monde, et d'apprécier à leur véritable prix les choses de Dieu et de l'éternité. L'exercice qui suivait la méditation n'était pas, il faut en convenir, un exercice mystique ; mais pourtant, il était très-nécessaire, et ne laissait pas d'avoir aussi ses charmes. Chacun prenait un sac sur son dos, et nous allions de côté et d'autre à la recherche des argols. Ceux qui n'ont jamais mené la vie nomade, comprendront difficilement que ce genre d'occupation soit susceptible d'être accompagné de jouissances. Pourtant, quand on a la bonne fortune de rencontrer, caché parmi les herbes, un argol recommandable par sa grosseur et sa siccité, on éprouve au cœur un petit frémissement de joie, une de ces émotions soudaines qui donnent un instant de bonheur. Le plaisir que procure la trouvaille d'un bel argol, est semblable à celui du chasseur, qui découvre avec transport les traces du gibier qu'il poursuit, de l'enfant qui regarde d'un œil pétillant de joie le