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eue. ... Notre Dchiahour, qui tout d’abord avait eu des scrupules d’aller loger sous le portique de ce temple idolâtrique, trouva ensuite cela magnifique ; il riait sans cesse du contraste que la chose lui présentait.

Après avoir bien arrangé notre bagage sur cet étrange campement, nous allâmes réciter notre rosaire sur les bords du Hoang-Ho. La lune était brillante, et éclairait cet immense fleuve, qui roulait, sur un sol plat et uni, ses eaux jaunâtres et tumultueuses. Le Hoang-Ho est, sans contredit, un des plus beaux fleuves qu’il y ait au monde. Il prend sa source dans les montagnes du Thibet, et traverse le Koukou-Nor, pour entrer dans la Chine, par la province du Kan-Sou. Il en sort en suivant les pieds sablonneux des monts Alécha, entoure le pays des Ortous, et après avoir arrosé la Chine d’abord du nord au midi, puis d’occident en orient, il va se jeter dans la mer Jaune. Les eaux du Hoang-Ho, pures et belles à leur source, ne prennent une teinte jaunâtre qu’après avoir traversé les sablières des Alécha et des Ortous. Elles sont presque toujours de niveau avec le sol qu’elles parcourent ; et c’est à ce défaut général d’encaissement, qu’on doit attribuer les inondations si désastreuses de ce fleuve. Cependant ces terribles crues d’eau, qui sont si funestes en Chine, ne nuisent que faiblement aux Tartares nomades. Quand les eaux grandissent, ils n’ont qu’à ployer leur tente, et à conduire ailleurs leurs troupeaux (1)[1].

  1. (1) Le lit du fleuve Jaune a subi de nombreuses et notables variations. Dans les temps anciens, son embouchure était située dans le golfe du Pé-Tchi-Li par 39 degrés de latitude. Actuellement elle se trouve au 34e parallèle, à cent vingt-cinq lieues de distance du point primitif. Le gouvernement chinois est obligé de dépenser annuellement des sommes énormes pour contenir le fleuve dans son lit, et prévenir les inondations. En 1779 les travaux qui furent exécutés pour l’endiguement coûtèrent 42,000,000, de francs. Malgré ces précautions, les inondations sont fréquentes. Car le lit actuel du fleuve Jaune, dans les provinces du Ho-Nan et du Kiang-Sou, sur plus de deux cents lieues de long, est plus élevé que la presque totalité de l’immense plaine qui forme sa vallée. Ce lit continuant toujours à s’exhausser par l’énorme quantité de vase que le fleuve charrie, on peut prévoir pour une époque peu reculée une catastrophe épouvantable, et qui portera la mort et le ravage dans les contrées qui avoisinent ce terrible fleuve.