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par les Ortous : on dit qu'à cause de l'inondation il n'y a plus de route, hé bien, nous en ferons une. — Ces paroles déridèrent subitement le front de notre Dchiahour. — Voilà qui est bien, dit-il ; voilà qui est bien ! Quand on entreprend un voyage comme le nôtre, on ne doit pas avoir pour des cinq éléments. Ceux qui ont peur de mourir en route, ne doivent pas franchir le seuil de la porte ; voilà la règle. ... Le Tartare de la bergerie voulut se hasarder à faire quelques objections contre notre projet ; mais Samdadchiemba ne nous laissa pas la peine d'y répondre : il s'empara de la parole, et le réfuta victorieusement : il alla même jusqu'à se permettre quelques propos durs et railleurs envers ce bon vieillard. — On voit bien, lui dit-il, que tu n'es plus qu'un Kitat. Tu crois maintenant que, pour pouvoir se mettre en route, il est nécessaire que la terre soit sèche et que le ciel soit bleu. Tiens, tu viens de dire des paroles qui prouvent que tu n'es plus un homme mongol. Bientôt on te verra aller garder tes moutons avec un parapluie sous le bras et un éventail à la main. ... Personne n'osa plus argumenter avec le Dchiahour ; et il fut arrêté que le lendemain nous mettrions à exécution notre plan, aussitôt que l'aube commencerait à blanchir.

Le reste de la journée fut employé à faire quelques provisions de bouche. Dans la crainte de rester plusieurs jours au milieu des plaines inondées, et d'y manquer de chauffage, nous préparâmes une grande quantité de petits pains frits dans la graisse de mouton ; nos animaux ne furent pas oubliés, ils eurent part aussi à notre sollicitude. La route allant devenir fatigante et difficile ; nous leur servîmes à discrétion, pendant la soirée et pendant la nuit du meilleur