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glissante et si profonde, que les chameaux ne pourraient pas avancer ; que nous avions surtout à redouter les plaines, encore inondées, où l'on rencontrait, presque à chaque pas, des précipices. D'autres avaient des paroles moins sinistres à nous dire ; ils nous assuraient que nous trouverions des barques, disposées d'étape en étape, pendant trois jours ; qu'il en coûterait peu de chose pour faire transporter les hommes et les bagages ; quant aux animaux, ils pourraient facilement suivre dans l'eau jusqu'à la grande barque, qui nous ferait passer le lit du fleuve.

L'état de la question ainsi posé, il fallait prendre un parti. Rebrousser chemin nous paraissait chose moralement impossible. Nous nous étions dit que, Dieu aidant, nous irions jusqu'à Lha-Ssa, en passant par-dessus tous les obstacles. Tourner le fleuve en remontant vers le nord, cela augmentait de beaucoup la longueur de notre route, et nous contraignait du plus à traverser le grand désert de Gobi. Demeurer à Tchagan-Kouren, et attendre patiemment pendant un mois que les eaux se fussent entièrement retirées, et que le terrain fût devenu assez sec pour présenter aux pieds de nos chameaux un chemin sûr et facile ; ce parti pouvait paraître assez prudent d'une part, mais de l'autre il nous exposait à de graves inconvénients. Nous ne pouvions vivre longtemps dans une auberge avec cinq animaux, sans voir diminuer et maigrir à vue d'œil notre petite bourse. Restait un quatrième parti, celui de nous mettre exclusivement sous la protection de la Providence, et d'aller en avant, en dépit des bourbiers et des marécages. Il fut adopté, et nous retournâmes au logis faire nos préparatifs de départ.

Tchagan-Kouren