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caravane était bien misérable à côté de cette interminable file de chameaux, tous chargés de caisses enveloppées de peaux de buffle. Nous demandâmes au conducteur qui ouvrait la marche, si nous étions encore loin de Tchagan-Kouren. — Vous voyez ici, dit-il en riant malicieusement, un bout de notre caravane ; l'autre extrémité n'est pas encore sortie de la ville. — Merci, lui répondîmes-nous, dans ce cas nous serons bientôt arrivés. — Oui, bientôt, vous avez tout au plus une quinzaine de lis. — Comment cela quinze lis? pourquoi dis-tu que tous tes chameaux ne sont pas encore sortis de Tchagan-Kouren ? — Ce que je dis est vrai, mais vous ne savez pas que nous conduisons au moins dix-mille chameaux. — S'il est ainsi, nous n'avons pas de temps à perdre ; bonne route, allez en paix ; et nous pressâmes aussitôt notre marche.

Ces chameliers avaient sur leur figure, noircie par le soleil, quelque chose de sauvage et de misanthrope. Enveloppés des pieds à la tête avec des peaux de bouc, ils étaient placés entre les bosses de leurs chameaux, à peu près comme des ballots de marchandises ; à peine s'ils daignaient tourner la tête pour nous regarder. Cinq mois de marche à travers le désert les avait presque entièrement abrutis. Tous les chameaux de cette fameuse caravane portaient suspendues à leur cou des cloches thibétaines, dont le son argentin et varié produisait une musique harmonieuse, et qui contrastait avec la physionomie morne et taciturne des chameliers. Notre marche pourtant les forçait bien quelquefois à rompre le silence ; le malin Dchiahour avait trouvé moyen de les contraindre à faire attention à nous. Quelques chameaux, plus timides que les autres, s'etfarouchaient à