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dit-il, ô! souffrez que je vous conduise moi-même ; et à l'instant il se mit à marcher avec nous. — Vous trouveriez difficilement l'auberge qui vous convient dans cette Ville-Bleue. Les hommes sont innombrables ici ; il y en a de bons, il y en a de mauvais ; n'est-ce pas, Seigneurs Lamas, que les choses sont comme je dis ? Les hommes ne sont pas tous de la même manière ; et qui ne sait que les méchants sont toujours plus nombreux que les bons ? Tenez, que je vous dise une parole qui sorte du fond du cœur ! Dans la Ville-Bleue on trouverait difficilement un homme qui se laisse conduire par la conscience ; et pourtant cette conscience c'est un trésor... Vous autres Tartares, vous savez ce que c'est que la conscience. Moi, je les connais depuis longtemps les Tartares ; ils sont bons, ils ont le cœur droit. Mais nous autres Chinois, ce n'est pas comme cela ; nous sommes méchants, nous sommes fourbes ; à peine sur dix mille Chinois pourrait-on en trouver un seul qui suive la conscience. Dans cette Ville-Bleue presque tout le monde fait métier de tromper les Tartares, et de s'emparer de leur argent.

Pendant que ce jeune Chinois aux manières dégagées et élégantes nous débitait avec volubilité toutes ces belles paroles, il allait de l'un à l'autre, tantôt nous offrant du tabac à priser, tantôt nous frappant doucement sur l'épaule en signe de camaraderie ; quelquefois il prenait nos chevaux par la bride, et voulait lui-même les traîner. Mais toutes ces prévenances ne lui faisaient pas perdre de vue nos deux grosses caisses que portait un chameau. Les vives œillades qu'il y lançait de temps en temps, nous disaient assez qu'il se préoccupait beaucoup de ce qu'elles pouvaient