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emportant dans ses serres quelques tranches de chevreuil. Quand nous fûmes revenus de notre épouvante, nous n'eûmes rien de mieux à faire que de rire de l'aventure. Pourtant Samdadchiemba ne riait pas, lui ; il avait la rage dans le cœur, non pas à cause du chevreuil escamoté, mais parce que l'aigle en partant l'avait insolemment souffleté du bout de son aile.

Cet événement servit à nous rendre plus précautionneux les jours suivants. Durant notre voyage nous avions plus d'une fois remarqué des aigles planer sur nos têtes, et nous espionner à l'heure des repas. Cependant aucun accident n'avait encore eu lieu. Jamais notre farine d'avoine n'avait tenté la gloutonnerie de l'oiseau royal.

On rencontre l'aigle presque partout dans les déserts de la Tartarie. On le voit tantôt se balançant et faisant la ronde dans les airs, tantôt posé sur quelque tertre au milieu de la plaine, y rester longtemps immobile comme une sentinelle. Personne ne lui fait la chasse ; il peut faire son nid, élever ses aiglons, croître et vieillir sans être jamais tourmenté par les hommes. Souvent on en rencontre, qui, posés à terre, paraissent plus gros qu'un mouton ordinaire ; quand on s'approche d'eux, avant de pouvoir se lancer dans les airs, ils sont obligés de faire d'abord une longue course en battant des ailes ; après quoi, parvenant à abandonner un peu le sol, ils s'élèvent à volonté dans l'espace.

Après quelques jours de marche, nous quittâmes le pays des huit bannières, pour entrer dans le Toumet occidental. Lors de la conquête de la Chine par les Mantchous, le roi de Toumet s'étant distingué dans l'expédition