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queue de mouton par petites tranches que nous offrîmes à chacun des convives, en les priant de vouloir bien partager, en ce jour de fête, notre rare et précieux régal. D'abord nous eûmes à lutter contre des refus pleins de dévouement ; mais enfin on nous débarrassa à la ronde de ce mets immangeable, et il nous fut permis d'attaquer un gigot, dont la saveur était plus conforme aux souvenirs de notre première éducation.

Après que ce repas homérique fut achevé, et qu'il ne restait plus au milieu de la tente qu'un monstrueux entassement d'os de mouton bien blancs et bien polis, un enfant alla détacher un violon à trois cordes, suspendu à une corne de bouc, et le présenta au chef de famille. Celui-ci le fit passer à un jeune homme qui baissait modestement la tête, mais dont les yeux s'animèrent tout à coup aussitôt qu'il eut entre les mains le violon mongol. Nobles et saints voyageurs, nous dit le chef de famille, j'ai invité un Toolholos pour embellir cette soirée de quelques récits. Pendant que le vieillard nous adressait ces mots, le chanteur préludait déjà en promenant ses doigts sur les cordes de son instrument. Bientôt il se mit à chanter d'une voix forte et accentuée ; quelquefois il s'arrêtait, et entremêlait son chant de récits animés et pleins de feu. On voyait toutes ces figures tartares se pencher vers le chanteur, et accompagner des mouvements de leur physionomie le sens des paroles. Le Toolholos chantait des sujets nationaux et dramatiques, qui excitaient vivement l'intérêt de ceux qui l'écoutaient. Pour nous, peu initiés que nous étions à l'histoire de la Tartarie, nous prenions un assez mince intérêt à tous ces personnages inconnus que le rapsode