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orient. Autrefois, lors de notre première entrée dans les missions, nous l’avions déjà parcouru dans toute sa longueur, du sud au nord, mais furtivement, en cachette, choisissant parfois les ténèbres et les sentiers détournés, voyageant enfin un peu à la façon des ballots de contrebande. Actuellement, notre position n’était plus la même. Nous allions marcher à découvert, au grand jour et sur le beau milieu des routes impériales. Ces mandarins dont jadis la seul vue nous donnait le frisson, et qui nous eussent torturés avec un bonheur infini, si nous fussions tombés entre leurs mains, allaient subir le désagrément de nous faire cortège et de nous combler de politesses et d’honneurs tout le long de la route.

Nous allions donc entrer en Chine et cheminer au milieu d’une civilisation qui ressemble fort peu, il est vrai, à celle de l’Europe, mais qui, cependant, n’en est pas moins complète en son genre. Le climat, d’ailleurs, ne serait plus le même, et les voies de communication vaudraient mieux que celles de la Tartarie et du Thibet : ainsi plus de crainte de la neige, des gouffres, des précipices, des bêtes féroces et des brigands du désert. Une immense population, des vivres en abondance et d’une riche variété, des campagnes magnifiques, des habitations d’un luxe agréable, quoique souvent bizarre, voilà ce que nous devions rencontrer durant le cours de cette nouvelle et longue étape. Cependant nous connaissions trop les Chinois pour être rassurés et nous trouver complètement à l’aise dans ce changement de position. Kichan [1] avait bien donné l’ordre de nous traiter avec

  1. Ambassadeur chinois à Lha-ssa. (Voir nos Souvenirs d’un voyage, t. II, p. 289.)