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divertissements. On se rassemble tout de même pour la veillée, car la pénitence serait par trop forte de ne plus aller faire son petit tour, si profondément ancré dans les mœurs, puis on chante des cantiques,[1] on parle des misères d’autrefois et de celles d’aujourd’hui, on s’attendrit aux récits des vieux sur leurs carêmes antiques, et quand on peut décrocher un beau livre, quel délicieux régal ! C’est le silence complet pendant des heures de lecture à haute voix. Parfois, c’est un discours politique, précieusement et respectueusement conservé dans un tiroir. Alors la conversation, la discussion s’engage sur le sujet et voilà nos pêcheurs métamorphosés en parlementaires improvisés, qui feraient bonne figure parmi nos Honorables Députés de Québec et d’Ottawa !

Dès qu’une jeune fille savait manier les broches, elle commençait à se tricoter des bas : douze paires n’étaient pas de trop pour commencer le trousseau. Ensuite sa mère l’initiait aux secrets du métier. Quand elle était devenue assez expérimentée, elle confectionnait sa couverte, sa catalogne, qu’elle tissait avec redoublement de diligence et d’amour, pour elle et pour le prince charmant qui faisait battre bien fort son cœur épris et monter du sang à ses joues. Petit à petit, le coffre s’emplissait de belles flanelles et de chauds tricots. On y ajoutait des tapis, habilement dessinés et crochetés. À dix-sept, dix-huit ans, quand la jeune fille était demandée en mariage, elle avait peu de dentelle, de fanfreluches et de bébéleries, mais elle pouvait garnir plusieurs lits, bien habiller son mari, bien tenir sa maison, occuper ses dix doigts et élever des enfants. Car, il ne faut pas oublier qu’en plus du travail qu’accomplit vaillamment notre Acadienne, elle élève une douzaine d’enfants, regorgeant de vie et de santé.

  1. Le Cantique de Marseille est, chez les insulaires, le grand chansonnier de ces temps de pénitence.