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après une autre fit de même, puis une troisième, puis une quatrième, si bien qu’au soleil couché une quinzaine déjà était à la côte. Ce furent les plus chanceuses, car vers neuf heures, la pluie se mit de la partie, une pluie torrentielle, grosse comme des balles, poussée par un vent qui faisait peur, un vent comme je n’en ai jamais vu depuis, auquel rien ne résiste : un ouragan épouvantable.

Dans l’épaisse nuit noire, à travers la sinistre clameur des vagues, les éclats du tonnerre et le hurlement du vent dans les cordages, on entendait les cris désespérés des matelots, essayant quelque manœuvre pour éviter les abordages. C’est ce que nous craignions le plus. Notre goélette étant neuve, avec de bons mouillages, tint bon et nous permit d’être les témoins attristés de cette scène douloureuse. Plusieurs, pour éviter le naufrage, coupèrent leur mâture, mais le vent avait un tel empire qu’il arracha tout ; et ces coques dégarnies nous frôlèrent, s’en allant à la dérive, battues par la mer démontée. Toutes y allèrent, moins une de la N.-É. qui, ayant accroché les ancres de ses sœurs, s’arrêta à une encablure du rivage. À minuit c’était notre tour : un des derniers. Nous débarquâmes sans trop savoir comment, mais sains et saufs.

C’est là que nous entendîmes des cris, des plaintes et des lamentations. Les matelots s’appelaient, se cherchaient, mais impossible de se trouver tous dans la nuit noire… Tel équipage est perdu, disait-on, la moitié de tel autre manque, celui-ci a perdu trois hommes, celui-là deux, et les déchirantes lamentations, les pleurs et les gémissements de continuer avec les mugissements de la tempête. Vers les deux heures du matin, son œuvre de destruction terminée, le vent commença à modérer, puis diminua graduellement jusqu’au jour.