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sur la tille, il huche au vieux Polite, mouillé banc à banc avec nous : « T’en viens-tu ? — Attendons les autres, ça ne force pas encore. — Ouais ! ça sert à rien de se mettre dans le péril pour quelques morues de plus… »

La morue mordait bien et il en coûtait de lever l’ancre, malgré la bourrasque, mais à quatre heures, ne pouvant plus tenir, toutes les barges appareillèrent. Trop tard : nous avions trop laissé forcer. Ça ne paraissait pas pire au large, mais à mesure que nous approchions de terre, la mer était si grosse et le vent si violent que nous eûmes beaucoup de peine à gagner bord : plusieurs furent forcés d’atterrir à l’île. Vers six heures, les goélettes commencèrent à chasser sur leurs ancres ; on mit dehors tout ce qu’on avait de mouillage, pensant bien tenir tête aux éléments déchaînés, mais le vent fraichissait toujours, hurlait dans les mâtures à faire frémir le plus brave de la bande, et les deux ancres avec tous leurs câbles ne pouvaient plus résister à la mer en furie. Ce fut un cri de stupeur quand on s’aperçut que les ancres dérapaient et que chaque lame nous poussait dans les brisants de terre ; nous allions nous émietter, entassés, enchevêtrés les uns par-dessus les autres, comme des fétus de paille. C’en était fait de nous… Il n’y avait plus moyen d’échapper… Un moment, le désespoir nous étreignit, mais une petite éclaircie nous ayant permis de voir le ciel, nous y jetâmes des regards suppliants et invoquâmes du fond du cœur notre bonne Étoile de la Mer, nous confiant entièrement en elle et la priant de nous sauver tous de cet imminent péril…

Toujours le vent soufflait plus fort, et la nuit approchait. Quelle lugubre nuit ! Vers sept heures la goélette Henry, sous les ordres du petit Pierre Vigneau, cassa son câble, chassa sa grosse ancre et s’en alla, telle une épave, couverte par les vagues énormes, se perdre dans les brisants de la côte. Un quart d’heure