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ans, et ses autres instruments agraires à l’équipelent ? Assurément, il n’y aurait pas de cultivateurs crésus. Y aurait-il même des cultivateurs ? Quand il a payé tous ses frais et son sel, le pêcheur s’estime et se considère comme richissime s’il lui reste quelques centaines de piastres…

Autrefois, la chasse aux loups-marins était une bonne source de gros revenus. Les insulaires l’appelaient leur manne. Chaque printemps, une vingtaine de goélettes[1] bien équipées se lançaient à travers les banquises, à la poursuite de cet intéressant amphibie. Métier très dangereux, qui demandait une grande habileté, doublée d’un grand sens marin. Ces voiliers étaient les esclaves du vent et des courants. S’ils avaient le malheur de se faire geler dans les glaces, c’était un printemps perdu : aucun autre mouvement possible que celui de l’immense croute du golfe, glissant vers l’est. Et les loups-marins passaient à distance. Heureux encore si tardivement dégagés, ils pouvaient courir les derniers glaçons. Bien des malheurs ont jeté la population dans de grandes tristesses, lors de ces expéditions : c’est la goélette Emma, appartenant à William Johnston, avec 10 hommes d’équipage, et la Breeze, appartenant à Germain Cyr, avec le même nombre d’hommes — en tout 20 dont 13 mariés, ayant 45 enfants — que les glaces écrasent et font périr corps et biens, dont six frères Hubert, en 1873 ; ce sont des navires étrangers qui se perdent loin des côtes dans les glaces et les ouragans et dont les débris sont trouvés par les Madelinots ; (un printemps, Zéphirin Arseneau sauva plusieurs hommes et femmes abandonnés sur la banquise, dont une jeune mère avec un enfant de trois semaines caché sur son sein. Julien

  1. 16 du Havre-aux-Maisons et 9 du Havre-Aubert. Ces dernières hivernaient dans le Havre-aux-Basques pour être plus tôt prêtes à prendre la haute mer au printemps. (1875).