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grange, tiraient la grand’scie pour convertir les robustes troncs en bordages, poutres, préceintes, madriers, etc. L’année suivante, ces vieux Acadiens tenaces et travailleurs élevaient la carène, à l’abri, dans un bois ; et bientôt l’on voyait se dessiner sur la neige le flanc puissant, la proue élancée et la poupe échancrée du nouveau bâtiment. Si bien qu’en 1830, on comptait 27 goélettes de 30 à 60 tonneaux dont dix pêchaient au Labrador et les autres commerçaient avec Pictou, Halifax et surtout Québec. En 1851, il y avait 37 goélettes et 101 barques employées à la pêche.

Malgré leur industrie et leur vaillance, nos Madelinots ne réussissent pas à tenir tête aux Américains. C’est alors que, de guerre lasse, ils abandonnèrent les fonds de pêche aux étrangers pour aller à 300 milles de leurs demeures chercher le pain de leurs enfants. Ils équipent leurs petites goélettes et s’en vont demander à quelque anse de la Côte-Nord un abri et une cachette. Ils ont là une certaine protection de la nature, peuvent acheter leur sel, leurs agrès de pêche et quelques marchandises à des conditions plus avantageuses qu’aux Îles. « Il leur faut payer ici le sel quatorze, quinze et quelquefois jusqu’à vingt chelins, ne recevant de leur morue que de dix à douze chelins et six sous, au lieu qu’au Labrador, ils l’ont à un quintal la barrique et les autres articles de pêche en proportion. »

« Le monopole, avec le système de crédit qui l’a accompagné d’abord, n’a produit qu’un commerce mesquin ; ces principes rétrécis tiennent les habitants assujettis et écrasent leur énergie. » (P. Winter, 1852)

Tout l’été, ils sont dans ce nord lointain et leurs femmes, leurs enfants et leurs vieillards restent seuls dans l’archipel. À l’automne, ils vendent sur place le fruit de leur été ou reviennent chargés de morues qu’ils donnent aux marchands pour solder leurs dettes et