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Cependant, en Hollande aussi, des publicistes distingués avaient élevé la voix et fait le procès à la torture. L’ouvrage de Grævius, qui fut publié à Hambourg, en 1624[1], est fréquemment cité par les écrivains hollandais et semble avoir exercé sur certains d’entre eux une réelle influence. Matthæus, professeur à l’Université d’Utrecht, dans son commentaire estimé du Digeste[2], parle longuement de la torture et réfute avec vigueur les arguments que font valoir ses partisans ; aux raisons théoriques il joint les constatations de l’expérience, et, entre autres abus, il rapporte, de science personnelle, que souvent le bourreau appelé à torturer un accusé riche, ménage le patient dans l’espoir d’obtenir une grosse somme d’argent, tandis que le magistrat ne se rend pas compte de la fraude qui se pratique sous ses yeux. Tout en protestant contre le maintien d’un mode de procédure qu’il déclare absurde, il admet cependant, lui aussi, la question infligée au condamné pour obtenir la dénonciation des complices. Van Heemskerk[3] combat surtout la torture en se plaçant au point de vue de l’idée chrétienne, qui réprouve les cruautés, et mentionne un grand nombre d’erreurs judiciaires dues à l’usage des tourments. Jonktijs[4] s’est inspiré de Grævius et présente un tableau complet de la question criminelle. Après avoir retracé l’histoire de la procédure pénale depuis l’antiquité, il reproduit les arguments des partisans du statu quo et les combat avec une grande vivacité ; il n’admet ni tempéraments ni concessions : la torture est un mode d’investigation vicieux par essence, indigne de juges chrétiens et éclairés ; elle n’est pas plus justifiable dans les procès de lèse-majesté ou dans la recherche des complices que dans les

  1. Tribunal reformatum in quo sanioris et tutioris justiciæ via judici christiano in processu criminali commonstratur, rejectà et fugatà torturà, cujus iniquitatem, multiplicem fallaciam atque illicitum inter Christianos usum liberà et necessaria dissertatione aperuit Johannes Grævius Clivensis, Hambourg, 1624. Nous ne sommes pas parvenu à trouver ce livre en Belgique ni dans les bibliothèques de Hollande et d’Allemagne avec lesquelles la bibliothèque de l’Université de Liège est en relations.
  2. Commentarius ad lib. XLVII et XLVIII Digesti de criminibus. Debosch-Kempert dit : « Het werk van Matthæus, de criminibus, niet alleen in Utrecht, maar ook in de andere provincien, is van grooten invloed geweest » [Wetboek van strafvord., I, cviii].
  3. Batavische Arcadia, Amsterdam, 1647 ; rééd. 1729.
  4. De Pijnbank wedersproken en bematigt. Amsterdam ; la première édition n’est pas datée ; M. Daris croit qu’elle est de 1651 ; la deuxième est de 1736.