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sévère pour avoir trahi un secret professionnel par une ambition étourdie et inconvenante[1].

La brochure de Sonnenfels fut traduite en français et publiée plus tard dans la Bibliothèque philosophique de Brissot[2] ; son succès fut immense. Après avoir tracé une esquisse historique de la question depuis l’antiquité grecque ; l’auteur récapitule tous les arguments qui ont été produits contre la torture, depuis saint Augustin jusqu’à Beccaria ; il insiste surtout sur l’expérience, à son avis concluante, qui a été faite en Angleterre, en Russie et en Prusse, où l’abolition de la torture n’apporte nul obstacle à la bonne administration de la justice. Dans l’espoir, sans doute, de désarmer l’opposition, il concède que l’on pourrait conserver la question préalable, tourmenter un coupable afin de lui faire dénoncer ses complices. Il se livre à un raisonnement très spécieux pour justifier cette concession, et il semble ne pas voir combien il est inconséquent en faisant dépendre la vie d’un citoyen du témoignage d’un scélérat, et d’un scélérat contraint par les supplices de la question[3]. Sonnenfels termine son œuvre par l’étude de ce que l’on devrait

  1. « Ubereilten, rühmsuchtigen und unanständigen Vorgang » [Arneth, t. IX, p. 579]. L’impératrice, dans son rescrit, déclarait aussi que Sonnenfels méritait d’être censuré, non pour avoir soutenu des idées subversives, mais pour avoir initié prématurément le public à des secrets d’État. Voir Wahlderg, t. II, p. 271.
  2. Tome IV.
  3. « Si la conviction légale de l’accusé est complète, s’il ne reste aucun doute sur son crime, si la nature du délit est telle qu’il ne puisse exister sans complices, il me semble que dans le concours de toutes ces circonstances on a autant de droit que de sûreté à tourmenter un coupable qu’on ne peut amener à une confession volontaire. Je dis qu’on est en droit de le faire, parce qu’il est obligé de répondre au juge qui l’interroge. Or, dès que, nonobstant cette obligation, il s’obstine à se taire, on ne sauroit dire qu’il soit tourmenté pour le crime d’autrui, mais bien à cause de son silence, qui est un nouveau crime contre la sûreté publique, à laquelle il enlève par là tout moyen de rendre inutiles les desseins pervers de quelques scélérats inconnus… Je dis qu’il y a sûreté, parce que dans un procès bien instruit, la déposition d’un accusé ne peut être regardée que comme un simple indice, et non comme un principe de condamnation. Et que l’on ne craigne pas que ce malheureux dénonce l’innocence : toute action tend à un but quelconque ; et celui qui est appliqué à la question n’ignore pas que sa dénonciation est aussi peu capable de perdre l’innocent qu’à le sauver lui-même ; il n’ignore pas non plus qu’une déposition fausse de sa part l’expose à être tourmenté une seconde fois. Il se sert donc de l’unique moyen qu’il ait de s’épargner des douleurs ; il dit la vérité, et ne dénonce que des coupables » [Mém. sur l’abol. de la tort., dans Brissot, t. IV, p. 268].