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sur le Gouvernement, et lorsque, le 31 décembre 1768, fut promulguée la Constitutio criminalis Theresiana[1], non seulement la torture fut maintenue, mais on jugea convenable d’y joindre, pour la plus grande facilité des juges, vingt-neuf gravures sur cuivre montrant en détail les ingénieux raffinements du système. Il n’y avait qu’une seule amélioration : désormais la sentence ordonnant la torture devait être ratifiée au préalable par le tribunal supérieur[2].

Une pareille loi devait soulever une vive opposition, sinon dans les corps judiciaires, respectueux par essence des anciennes traditions, tout au moins dans le milieu scientifique par excellence, dans la Faculté de droit de l’Université de Vienne, illustrée par l’enseignement et les écrits de Martini, de Riegger, de Bannizza et de Sonnenfels.

Ce dernier surtout devait jouer un rôle important dans la lutte que nous étudions, et son intéressante figure mérite de nous arrêter un instant.

Joseph von Sonnenfels avait depuis longtemps attaqué avec ardeur du haut de sa chaire la torture, la peine de mort et le droit d’asile. Cette attitude lui avait attiré de nombreuses inimitiés au sein des cours de justice, des cercles politiques et dans les rangs du clergé. Parmi ses adversaires les plus actifs se trouvaient le chancelier Rodolphe Chotek et l’archevêque de Vienne, Migazzi[3]. Ces deux hauts personnages accusèrent le professeur viennois de prêcher des doctrines subversives de l’autorité tant civile que religieuse, et de corrompre la jeunesse ; ils prièrent en conséquence l’impératrice de lui infliger un blâme sévère[4]. Marie-Thérèse trouva l’accusation excessive et se borna à donner à Sonnenfels, sous une forme très bienveillante, un simple conseil de discrétion et de prudence. Le professeur viennois avait d’ailleurs un protecteur puissant et dévoué dans la personne de

  1. Constitutio criminalis Theresiana, oder Maria Theresia’s peinliche Gerichtsordnung, Vienne, 1769, in-fol.
  2. Arneth, Geschichte Maria Theresia’s, t. IX, p. 199.
  3. Sonnenfels était d’origine juive, ce qui contribua à rendre l’hostilité plus âpre contre lui.
  4. Combattre la peine de mort, était s’attaquer à la religion, disaient Migazzi et Chotek, car Dieu lui-même avait dans son ancienne loi puni le meurtre de la peine capitale, et ce principe avait passé dans la législation de tous les peuples civilisés. Arneth, Gesch. Mar. Ther., t. IX, p. 200.