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bien qu’une résistance absolue est désormais impossible, et il essaie de sauver le système en faisant les sacrifices nécessaires. « Je sais, dit-il, ce que Montaigne, Montesquieu, Beccaria et les jurisconsultes anglais ont écrit sur ce sujet, et ce que mon cœur, aussi éloquent qu’eux tous, y ajoute… cependant la question en elle-même peut être bonne et utile sans inconvénients dans certaines circonstances… Il ne faut pas en juger par ses abus : c’est le vice du vulgaire que de condamner indéfiniment une chose parce que ses accessoires l’auront rendue pernicieuse[1] ». Pour le magistrat normand, il ne faudrait pas supprimer la question, mais seulement modifier la manière de la donner[2]. Bernardi, qui a traité la torture de « méthode barbare, inutile et de dangereuse conséquence », est d’avis qu’avant de l’abolir, il faut éclairer les esprits[3].

On le voit, si la cause abolitionniste a fait des progrès considérables dans l’opinion publique, le procès n’est pas gagné, il faudra bien des efforts et des luttes pour triompher des habitudes et des préjugés séculaires, et faire passer dans les lois des principes plus doux et plus justes.

Une première victoire fut cependant remportée, lorsque Louis XVI, par une déclaration du 2 décembre 1780, abolit la question préparatoire[4]. C’était entrer nettement dans la voie des réformes. Le préambule de l’édit royal rappelle qu’en 1670 déjà, des magistrats expérimentés ont déclaré la question préparatoire inutile à la connaissance de la vérité, et que le système n’a été maintenu que grâce à « une sorte de respect pour son ancienneté ». Certes, dit-il, on ne doit pas se déterminer trop facilement à abolir des lois qui ont pour elles l’appui d’une longue tradition, ni introduire à la légère un droit nouveau qui pourrait « ébranler les principes et conduire par

  1. De la législation criminelle, pp. 390-397.
  2. « Je voudrais qu’elle ne consistât qu’en une douleur vive, mais incapable de disloquer les membres ou d’altérer la santé à toujours ; qu’elle prit sa force plutôt dans ce qu’elle serait répétée plusieurs fois, que dans la violence de chaque torture. Je suis convaincu que l’homme résiste mieux à une douleur extrême mais passagère qu’à une douleur moindre, mais qu’il sait devoir durer plus longtemps, surtout lorsqu’il ignore quelle en sera la durée » [Ibid.]. — Comparer à l’Intercalartortur de Vienne, p. 87.
  3. Discours sur la justice criminelle, dans Brissot, t. VIII, p. 197.
  4. Voir le texte de cette déclaration dans Muyart de Vouglans, pp. 811-812. On lui assigne ordinairement la date du 24 août, mais l’acte officiel porte la date du 2 décembre.